WEBridge Magazine n° 03
Articles " Libres propos "

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Où Watson fait des enchères " chères " !
 par Claude BARJON et Michel BOSSARD

(A l'intention des joueurs de 3è et 4è séries)

- Figurez-vous, dit un jour Watson à Sherlock Holmes, que j'ai été, il y a peu de temps, humilié et cela, devant plusieurs personnes. Vous pensez bien que je n'eusse pas accepté cette infortune et que j'eusse exigé des excuses, si la majorité des joueurs présents n'avait pas donné raison à mon adversaire qui se trouvait, en fait, être mon partenaire.

- Ah ! Cela se passait sans doute lors d'une partie de bridge au Club, demanda Holmes ?

- C'est exact, dit Watson, et la discussion avec mon partenaire fut chaude bien que la donne m'ait paru plutôt banale.

- Vous m'intriguez, dit Holmes, quel est donc le sujet du débat ?

- Tout simplement, j'avais dans la main :

A R 8 3

A V 7 5 4

D 7 2

6

J'ouvris donc les enchères de 1 , et mon partenaire répondit 2 ;

- Jusque là, tout me parait sans problème, dit Holmes.

- A moi également, reprit Watson. Et c'est là que je fis l'enchère qui ma parur évidente de 2 . CEla ne va-t-il pas de soit, selon vous, d'annoncer sa deuxième couleur, surtout quand celle-ci est commandée par As et Roi ?

Sherlock Holmes garda le silence et considéra la donne quelques secondes.

- Et alors, reprit-il, qu'arriva-t-il ?

- Il arriva que mon partenaire, sans doute pris de frénésie, m'emmena, tambour battant, jusqu'à 6 , que nous chutâmes de 6 levées, la Dame de étant mal placée.

- Ce qui veut dire, ajouta Holmes, que même en ne perdant pas la Dame de , vous auriez chuté d'une levée. Quelle était la main de votre partenaire ?

- Si je me souviens bien, dit Watson, elle devait être celle-ci :

V 7 6

R 9 2

A 6

R D V 8 3

J'ai reçu l'entame du Valet de . Je me doutais bien que le Roi de était à ma droite, mais étant donné que je devais obligatoirement perdre l'As de , il fallait bien que j'essaie de trouver le Roi de dans la main de l'entameur. J'ai donc joué un petit du mort, et évidemment Est a pris la levée avec le Roi.

Il a rejoué un petit que j'ai pris de l'As, mais j'ai bien été obligé de jouer vers le mort pour affranchir la couleur afin de pouvoir défausser mes petits perdants. ESt a pris la levée avec l'As de et a rejoué que j'ai pris avec le Roi, et je suis remonté au mort avec le Roi de pour défausser les deux perdants sur la Dame et le Valet de affranchis.

- Vous avez joué le coup très correctement, Watson, et vous ne pouviez rien aux levées que vous avez perdues.

- Merci, cher ami, mais mon problème vient surtout du fait que mon partenaire me reprocha avec violence mon enchère de 2 , prétendant que je n'avais pas le droit de faire une telle annonce avec seulement 15 points HL, que j'avais indiqué là une force d'au moins 18 points Hl, peut-être plus. Mais le plus fort, c'est qu'il m'assura que la seule enchère valable était 2 . 2 ! Rendez-vous compte ! Comme si j'avais eu 12 points d'honneur !

- Calmez-vous, mon cher Watson, et regardez la situation avec lucidité, car je crains bien que votre partenaire ait quelque raison d'être mécontent.

- Ah ! Vous aussi, vous me reprochez mon enchère, dit Watson ?

- Franchement, oui, répondit Holmes. Mais il ne sert à rien de discuter du bien ou du mal-fondé de celle-ci si vous ne connaissez pas la différence entre l'annonce d'un bicolore " économique " et celle d'un bicolore " cher ". Laissez-moi vous le rappeler :

L'annonce d'un bicolore est dite " économique ", quand la deuxième couleur annoncée permet au partenaire de revenir à la première couleur, sans changer de palier.

Par exemple :
1
2
2
2

Vous voyez que pour revenir à , le partenaire a pu rester au niveau de 2.

Cette enchère ambiguë montre une force comprise entre 12 et 19 HL.

Au contraire, l'annonce d'un bicolore est dite " chère ", quand le partenaire de l'ouvreur doit franchir un palier pour revenir à la première couleur annoncée.

Par exemple :
1
1
2
3

Vous voyez que pour soutenir les , le partenaire est obligé d'enchérir au niveau de 3.

Dans cette situation, la force de l'ouvreur doit être au minimum de 18 points HL.

Or, mon cher Watson, votre main se situait dans la zone d'un bicolore " économique ", alors que vos enchères ont indiqué un bicolore " cher ".

Watson ne s'avouait pas battu.

- Il est tout de même incroyable, dit-il, que je ne puisse pas annoncer une couleur quatrième à , surtout quand j'y possède l'As et le Roi.

- Rien ne dit que vous n'annoncerez jamais vos , rétorqua Holmes. Car, enfin, de deux choses l'une : ou bien votre partenaire a quatre cartes à , et il va les annoncer maintenant sur votre enchère de 2 , ou bien il n'annonce pas 2 , ce qui dénie quatre cartes dans la couleur. Dans le premier cas, vous pourrez soutenir vigoureusement votre partenaire dans cette deuxième couleur, mais, dans le deuxième cas, un contrat à semble déconseillé, car vous joueriez à 6 ou 4 atouts.

- Mais alors, demanda Watson, Qu'aurais-je dû avoir en plus dans ma main pour pouvoir annoncer ce fameux bicolore " cher " ?

- Je vous l'ai dit, au moins 18 points HL, donc une main un peu améliorée par rapport à la vôtre, telle que :

 

A R 8 3

A D V 7 5

7 2

A 6

Si vous rapprochez cette main supposée de celle de votre partenaire :

V 7 6

R 9 2

A 6

R D V 8 3

 

 vous vous apercevez que vous réussissez sans peine 13 levées à l'atout .

- Treize levées, le grand chelem ? C'est extraordinaire, dit Watson.

- Supposons que l'adversaire entame , qui est l'entame la plus désagréable pour vous. Vous prenez de l'AS, vous faites tomber immédiatement les atouts adverses, puis vous jouez As de et en défaussant vos 2 petits et le perdants sur les trois restants du mort. Vous aurez ainsi réalisé 5 levées à l'atout; 5 levées à , As et Roi de , et l'As de , soit 12 levées.

Watson resta songeur pendant un moment, puis il déclara ragaillardi :

- Finalement, mon partenaire a mal enchéri, puisque si j'avais possédé qu'il pensait que j'avais, il devait demander le grand chelem, alors qu'il s'est contenté du petit. Demain, je ne manquera pas de le lui faire remarquer.

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