traduit et communiqué à la liste Cena par Pierre Rimbaud ([email protected])
Mercredi 22 Mars 2000 11:19:14
Article plutôt destiné aux joueurs de haute compétition
Il est bien connu qu'une carte donnée a plus de chances d'être du côté long que du côté court.
Si, par exemple, vous devez deviner la place d'une Dame dans un résidu 3-2, cherchez-la dans la main qui est connue ou supposée posséder trois cartes. La probabilité de réussite est alors de 3 contre 2, soit 60%.
C'est évidemment vrai pour toute carte autre que la Dame.
Ce qui est moins connu, c'est que la réciproque est vraie : l'adversaire qui possède la Dame est favori pour avoir la teneur la plus longue. S'il manque cinq cartes dont la Dame et qu'elles sont réparties 3-2, la probabilité que le possesseur de la Dame ait trois cartes est 60%. Ce qui, une fois encore, est valable pour n'importe laquelle des quatre autres cartes.
En obligeant l'adversaire à fournir ses petites cartes, il est possible d'obtenir des indications sur la probable distribution du résidu. Supposons qu'il manque RD2 dans une couleur ; quand vous tirez l'As, un adversaire fournit un honneur et l'autre le deux. Ce dernier a plus de chances d'avoir l'honneur restant, puisque le 2 sec ne représente qu'une seule des trois positions possibles de répartition 2-1.
[Notez que celui qui fournit le deux est toujours obligé de le mettre, alors que celui qui fournit un honneur pouvait parfois choisir l'autre. Vous pouvez vous attendre à voir tomber le Roi et le deux, ou bien la Dame et le deux, mais certainement pas la Dame et le Roi ! Une seule carte est forcée d'apparaître : le deux. En conséquence, le décompte des cas montre que l'on peut dire : celui qui est le plus long est probablement celui qui a fourni la "carte forcée". De la même manière, quand vous faites l'impasse à la Dame en fit huitième, celle-ci est "forcée" de révéler son emplacement, et il s'ensuit que la main qui se révèle la posséder a aussi le plus de chances de détenir la longueur (NDT)].
On peut appliquer ce principe à d'autres distributions. Si vous avez 54 en face de ARD3, les adversaires sont forcés de révéler la place du 2 quand vous tirez les 3 honneurs. [Ils ne peuvent le garder, sous peine d'affranchir le 3 ; le 2 est donc une "carte forcée".(NDT)]. S'ils fournissent 3 fois chacun, c'est celui qui fournit le 2 qui est alors favori pour détenir la treizième, à 4 contre 3, c'est à dire à 57%. Mais ceci ne s'appliquerait pas aux cartes égales ou supérieures au 6, car on n'est nullement contraint de les montrer : pour chacune d'elles, l'adversaire détenteur de 4 cartes peut fort bien choisir de la fournir ou de la garder jusqu'au bout.
S'il manque le 2 et le 3, le principe s'applique aux deux cartes. S'il en tombe une de chaque côté, on ne peut évidemment rien conclure, mais si c'est un même flanc qui les fournit, la probabilité qu'il soit le plus long est alors très élevée.
Ce principe n'avait jamais été signalé dans la littérature de bridge. Il est certes rare de tomber sur une donne où il s'applique, mais il peut servir à compter la main dans l'optique d'une fin de coup. Dans la donne suivante, on peut l'appliquer deux fois, ce qui accroît d'autant les chances de succès :
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Comment jouez-vous 7SA sur entame trèfle ?
PS : Pour essayer d'en finir avec l'histoire précédente, toute cette affaire de 8 (donc récursivement de 7, de 6, etc.) est bien compliquée, car il ne s'agit que de cartes "conditionnellement forcées". Max Rebattu n'évoque heureusement pas l'hypothese de ARD3 dans la main cachée, qui FORCE a priori les adversaires à conserver des cartes moyennes jusqu'à ce qu'ils en sachent un peu plus. Je ne sais pas si les probabilités en sont modifiées de manière calculable, mais il est clair qu'en pratique la façon dont les petites cartes sont fournies donne d'autres informations. J'avais attaqué un semblant de théorisation de la chose (a partir du concept de "carte forcée" absolue ou conditionnelle), mais j'avoue que me suis empétré dans les calculs et, en bon fainéant, je comptais sur des colistiers pour clarifier un peu ce qui peut l'être. Dans la vraie vie (compte tenu des habitudes de la majorité des gens), je suis persuadé que l'on peut édicter une règle (ou plutôt un dicton), mais je ne suis pas parvenu à le formuler.
En flanc, contrairement à une idée en vogue, je ne suis pas persuadé qu'il soit utile de fournir ses cartes strictement "au hasard" (comme l'illustre l'histoire des naifs qui fournissent systématiquement le plus gros de deux honneurs secs), mais je ne sais pas s'il y a quelques recettes applicables pour révéler le moins possible (voire tromper le plus possible) sans trop se casser la tête. Je pense, par exemple, au principe suivant "toujours fournir le 9 ou le 8 d'atout à la première occasion". Quelqu'un en a-t-il d'autres ?
Pour ce qui concerne M. Prud'homme et M. Jourdain, personne ne l'a souligné, mais - de manière surprenante - ils ont tous les deux raison ! En effet, une carte donnée a plus de chances d'être dans la main longue, mais, dans ce cas, elle a moins de chances d'être fournie, ce qui compense exactement les probabilités.
Tonio est perplexe ([email protected]) et le dit :
L'adversaire qui possède la Dame est favori pour avoir la teneur la plus longue. S'il manque cinq cartes dont la Dame et qu'elles sont réparties 3-2, la probabilité que le possesseur de la Dame ait trois cartes est 60%. Ce qui, une fois encore, est valable pour n'importe laquelle des quatre autres cartes.La formulation m'interpelle. Je ne la comprends pas, j'ai l'impression de tourner en rond. Le possesseur de la Dame a 60% de chances d'avoir 3 cartes. Le possesseur du 4 a aussi 60% de chances d'avoir 3 cartes.
Quelle que soit la carte (la Dame, le 4 ou une autre), son possesseur a 60% de chances d'en avoir 3!.Mais "le quel que soit" ne sert plus a rien.
Conclusion : un joueur a 60% de chances d'avoir 3 cartes. Et donc 40% de chances d'avoir 2 cartes. Or dans une repartition 3-2, une des mains a 3 cartes et l'autre 2. Arrivé la, ou les chances sont de 50-50, ou la repartition 3-2 est en péril.
Il y a forcement une erreur quelque part.
Et, Roqui ( [email protected]) lui répond :
Saine conclusion, mais les paradoxes liés aux raisonnements sur les probas conditionnelles ne sont pas toujours faciles a démêler. La situation n'est quand même pas trop complexe ici.
On part toujours du principe où l'on repartit 26 cartes en 2 mains de 13 et que dans ces 26, il y en a 5 qu'on appelle "trefles", et que de ces cinq, 3 sont dans une main et 2 dans l'autre. Par évidente symétrie, il y a 50% de chances que ce soit l'une ou l'autre main qui ait 3 cartes.
Maintenant, si on sait qu'un trefle particulier (disons le 3) est dans une main (qu'on appelle L, l'autre étant R), on peut calculer la probabilité conditionnelle que L ait 3 cartes, sachant que L a le 3 de T, et on trouvera 60%.
L'ambiguïte est ,en fait, dans le "sachant que". Comment sait-on que ...? Par exemple, parce qu'on l'a demandé à quelqu'un qui voyait l'une des 2 mains. Plus précisément parce qu'on a demandé: " qui a le 3 ?" et non " citez-moi l'un des trefles contenus dans la main L "; on comprend aisément que la première question apporte un élément d'information sur la longueur des trèfles de L, et la 2e aucun.
Si on se trouve dans les conditions de jeu, où l'on voit L fournir, bien obligé, un de ses trèfles au 1er tour de la couleur, si on veut calculer la probabilité qu'il ait 3 cartes à trèfle, on est confronté à un calcul de probabilités conditionnelles un peu plus compliqué : quelle est la probabilité que L ait 3 trèfles, sachant qu'il a le 3 de T et sachant qu'il a choisi de le fournir plutôt qu'une autre carte.
Si on est un St Thomas, on va faire le calcul complet et on finira par trouver 50% (on suppose que les 5 trèfles sont équivalents et fournis au hasard, ou même que 4 des 5 sont équivalents et fournis au hasard et que le 5e n'est jamais fourni), et si on accorde une confiance illimitée à la mécanique du calcul des probas on conviendra aussitôt qu'il est évident que le calcul donnera 50%.
Tonio : Imaginons qu'il me manque 5 cartes et que jouant l'As, je vois apparaître le 2 et le 3. J'en conclus que "Le possesseur du 2 a 60% de chances d'avoir 3 cartes", "Le possesseur du 3 a aussi 60% de chances d'avoir 3 cartes".
Roqui : Conclusion fausse, car on n'est plus dans les hypothèses qui conduisent à 60%: la question est à ce point : quelle est la probabilité que L ait 3 cartes sachant qu'il a le 2, qu'il a choisi de le fournir, qu'il n'a pas le 3 et que R a choisi de fournir le 3? Et non quelle est la proba que L ait 3 cartes sachant (seulement) qu'il a 3 cartes?
Enfin, Jean-Pierre ( [email protected] ) conclut :
Tout le problème vient de ce que la D doit être différenciée des autres cartes pour que ce soit vrai, de même que les cases vacantes ne s'appliquent que quand on connaît le compte complet d'une couleur, alors que les défausses "ne comptent pas".
Je vais d'abord détailler ce point : on tire AR de C dans une couleur 7ème, et un adversaire défausse un T. Les C sont 5-1, mais pour les T, la carte défaussée ne compte pas pour les cases vacantes (bien sûr, ce T révèle des choses, en particulier s'il y a 4 T au mort, il est probable que la défausse provienne d'une teneur au moins 5ème, mais ce n'est pas une carte "connue" dans la mesure où on ne connaît pas la distrubution complète des cartes de la même catégorie).
Dans ce cas, on raisonne par couleur, mais dès qu'on peut regrouper les cartes en catégories distinctes, et qu'on connaît la répartition d'une catégorie, on peut appliquer les cases vacantes sur ce qui reste.
Ainsi, j'aime bien considérer des "sous-couleurs" qui sont constituées, par exemple, des honneurs équivalents. et disjoints des petites cartes.
Prenons le cas de la D évoqué, il faut le remettre dans le contexte. On a une couleur répartie 3-2, ET CONSTITUEE D'UNE PART DE LA D, D'AUTRE PART DE 4 PETITS "INDISCERNABLES". Alors, la D a 60% de chances d'être 3ème.
Pour cette réciproque, on connaît la répartition (1-0 ou 0-1) de la "sous-couleur" constituée de la D, et on peut raisonner sur la répartition a priori de la "sous-couleur" des petits. On sait que la D est à gauche, et que la couleur est 3-2, alors les répartitions possibles de la "sous-couleur" des petits sont : x-xxx (4 cas), et xx-xx (6 cas), et comme la D connue affecte un peu les probas élémentaires de chaque cas, tout ça s'équilibre et on retrouve exactement 60%-40%.
Tonio : Si le possesseur de 4 cartes dont le 2 doit fournir ce 2 pour des raisons de bon sens, celui qui a 3 cartes dont le 2 doit le fournir pour respecter le règlement. Partant, j'ai la furieuse envie de dire que le 2 peut être oublié.Et je SENS que c'est faux. Au secours. Que quelqu'un me convainque par pitié. :-)
Jean-Pierre : A ce stade, tu as bien sûr compris que le 2 constitue une "sous-couleur"entièrement connue, et donc qu'on peut raisonner sur les probas a priori des distributions encore possibles de la "sous-couleur" des cartes autres que le 2.
Cette "sous-couleur" peut être ou bien 2-4, ou bien 3-3, et c'est cette deuxième possibilité qui est plus probable (20 cas contre 15).
Le "tip" s'arrête là, mais la liste est allée plus loin, mais dans un domaine très différent de lecture des mains, quelque chose faisant une fois de plus intervenir l'ami Bayes, du genre "pour chacune des distributions possibles, quelle est la probabilité que l'ensemble du flanc, la détenant, ait joué les cartes qui ont été jouées de la manière dont elles ont été jouées". Mais on peut se contenter de bêtes probas en considérant que les cartes équivalentes pour le déclarant sont également indiscernables pour le flanc...
Comment jouez-vous 7SA sur entame trèfle ?
La réponse de Max Rebattu :
Si les gardes majeures sont séparées, comme c'est le plus probable, on gagnera sur un double squeeze à condition de bien deviner la position.
Apres la première levée de trèfle, Sud tire ses levées maitresses en majeures, en défaussant deux carreaux du mort. Il s'agit de faire bien attention à l'apparition du 2 de pique et des 2, 3 et 4 de coeur. Supposons qu'Est fournisse les deux 2 et Ouest les deux autres petits coeurs. Il y a alors 57% de chances de trouver Est avec le dernier pique et 60% de chances de trouver Ouest avec le dernier coeur.
Sur le defilé des trèfles, s'ils sont 3-3, Est doit lâcher un carreau et Sud doit alors jeter la menace gardée par ce dernier : plutôt le 3 de pique, la probabilité que ce soit une mauvaise décision étant 43% x 40% = 17%. Il y a donc maintenant une bonne chance qu'Ouest soit squeezé dans les rouges.
Vos chances de succès sont donc nettement améliorées par mon "Tip" : "Expect a missing high card to be held by the opponent possessing the most worthless low cards in that suit".
Compléments de Pierre Rimbaud :
J'ai volontairement laissé en anglais la dernière phrase, qui me laisse dubitatif. On pourrait en effet la traduire par : "attendez vous à ce que le détenteur d'une carte maitresse soit celui qui avait les plus petites dans la couleur". Je ne crois vraiment pas que ce soit le sens du Tip de Max, et je soupçonne que cette formulation est une interprétation (fallacieuse) de Sally Brock, rédactrice des Bol's Tips.
En fait, on devrait dire : "l'adversaire le plus long dans la couleur est probablement celui qui a fourni le plus de cartes forcées" - ce qui est radicalement différent, non ?
D'autre part, on peut préciser l'origine du chiffre 60-40 concernant les coeurs. Il y a 3 cartes forcées, qui peuvent être réparties 3-0 ou 2-1. Si elles sont 3-0, il y a une seule position dans laquelle elles sont dans la main courte, et 4 positions où elles sont dans la main longue (accompagnées d'une des 4 grosses) : la probabilité est donc de 80% (4 contre 1) de trouver la 13e du côté des petites. Si elles sont 2-1, il y a 4 positions où les 2 sont dans la main courte et 6 positions où elles sont dans la main longue : la probabilité est donc de 60% (6 contre 4).
En conséquence, seule semble compter la position des coeurs, car la probabilité qui en découle (80% ou 60%) est toujours plus forte que celle dépendant de la position du 2 de pique (57%). D'ailleurs, si l'on avait le 4 de coeur à la place du 5, les probabilités seraient : 66% avec les petits coeurs répartis 2-0 (10 cas contre 5) ... et 50% avec les petits coeurs répartis 1-1 (il faudra alors s'en remettre à la position du 2 de pique).
A l'extrême, que se passe-t-il avec ARD10 en face de 98 ? Les "petites" cartes, forcées d'apparaître, sont alors au nombre de 6 ; elles sont réparties 3-3 (si tant est que le problème se pose de savoir qui a gardé le Valet) et on n'a donc aucune information.
Et avec ARD9 en face de 87 ? Les cartes forcées sont au nombre de 5 et sont réparties 3-2, un petit honneur apparaissant du côté des deux ; la probabilité de trouver l'honneur restant du côté des trois est donc 66% (Vxxx ou 10xxx contre xxx) ; on retrouve ici tout simplement le "moindre choix" entre V et 10 : celui qui a fourni un honneur a deux fois moins de chances d'avoir l'autre !
Et ARD8 en face de 76 ? Si les petites sont 2-2, on ne peut a priori rien conclure, chaque flanc fournissant un petit honneur (si LHO fournit le Valet, LHO sera assez malin pour montrer toujours le 9 !) ; et si les petites sont 3-1, on a 75% de chances de trouver la 13e avec les petites (Vxxx, 10xxx, 9xxx contre xxx).
Il ne faut pas oublier de compter toutes les cartes forcées, qui ne sont pas forcément des petites :
ADV5
74
Apres le 4 pour le Valet, pris du Roi, puis l'As et la Dame, la treizième a 60% de chances d'être chez RHO si les 2 et le 3 sont répartis !!! En effet, on a 6 cas (R1092, R1082, R1062, R982, R962, R862) contre 4 (R102, R92, R82, R62). Bien entendu, la probabilité est inverse si LHO a fourni le 3 et le 2 : 10932, 10832, 10632, 9832, 9632, 8632 contre 1032, 932, 832, 632. Et, bien entendu, la situation est symétrique si l'impasse marche : LHO a une carte forcée (le Roi) qu'il va devoir fournir au 3e tour.
En définitive, je crois que la manière dont les flancs fournissent leurs cartes est d'assez peu d'importance - tant qu'ils ne font pas de faute révélatrice comme de fournir prématurement une grosse carte qui aurait pu jouer dans d'autres circonstances.
Le Tip de Max est pur (et très simple), et ca m'étonnerait que beaucoup le connaissent.
Je ne sais pas s'il est d'un usage fréquent, mais peut-être aurez-vous l'occasion d'en rapporter ici une application ? Il ne faudra alors pas oublier de préciser les petites cartes ;-))
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